Gallimard, 2013 - 2016
On lui devait la très belle biographie du peintre florentin Fra Filippo Lippi, le récit palpitant de la vie de Diderot et d’autres reconstitutions de vies célèbres (Fragonard, Manet…) qui rapprochaient toujours plus Sophie Chauveau de la période contemporaine, de sa propre histoire familiale.
Avec Noces de Charbon, elle fait descendre les lecteurs dans les mines, elle les invite dans les salons des grands patrons de l’or noir du nord de la France, dans les alcôves là où les destins des femmes se renversent, pour le meilleur ou pour le pire. Le pire, le plus souvent dans cette saga familiale qui s’ouvre avec un arbre généalogique pour que le lecteur s’y retrouve.
Et il s’y retrouve. Ambition, cupidité, amour, adultère, jalousie, lutte des classes entre deux familles. Tous les ingrédients d’une mauvaise série si Sophie Chauveau ne lui donnait pas son ton particulier d’épopée familiale. Une énergie noire de la descendante de ces deux familles du nord dans chaque ligne et le lecteur s’attache tellement aux personnages qu’il s’empare sans hésiter du dernier texte de Chauveau La Fabrique des pervers qui est le versant direct de son histoire personnelle, une histoire terrible issue d’une lignée de pervers et d’une descendance d’abusés, au féminin surtout mais pas seulement. Cette histoire pourrait être insupportable à lire mais Sophie Chauveau l’écrit parce qu’elle sait qu’elle n’est pas la seule à être la victime des prédateurs familiaux. Le texte est bouleversant, jamais voyeuriste, cet essai autobiographique permet de penser l’impensable, sous tous les angles, de la psychanalyse, du droit, de l’économie, de la sociologie (une dynastie de grands bourgeois, propriétaires des grandes mines de charbon).
Mais le texte de Chauveau n’est pas une suite de Germinal de Zola. La parole écrite et publiée sert ici à sortir de la malédiction, à sortir de l’hérédité perverse, à donner la parole à tous les enfants victimes de parents abuseurs, à leur restituer une dignité.
Françoise Vonlanthen, 02.10.16
Photo: Catherine Hélie © Gallimard